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       < Un demi-siècle d'émotion... 
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        Un demi-siècle d'émotion
 
         
        Peut-être la formule fera-t-elle sourire quelque âme chagrine. 
        Et pourtant, la preuve scientifique de sa futilité n'est pas près
        d'être apportée. Le Concours Reine Elisabeth apporte depuis
        cinquante ans une palette d'émotions extrêmement large aux
        mélomanes : passion joie, tristesse, adhésion, contestation
        communion avec la musique, malgré tous les reproches ou réserves
        que l'on formule ici ou là. 
        Surtout, une tranche de vie où la culture semble grignoter un peu
        de territoire sur les crises, les rationalisations, les épidémies,
        la pluie ou les conflits. 
        Et enfin, un phénomène complexe, riche, qui résiste
        à toutes les généralisations : non pas un public,
        sociologiquement cohérent, mais des milliers de spectateurs, des
        dizaines de milliers de téléspectateurs et auditeurs de
        la radio. Non pas des lauréats-chevaux de course, mais des jeunes
        gens, venus chacun avec son passé, son état présent,
        ses potentialités toujours fragiles et dépendant de facteurs
        infiniment divers. Non pas "toujours le même concerto",
        mais un répertoire dans l'ensemble riche et varié, ouvert
        à son siècle comme à l'intimité de la sonate
        ou du lied. 
        Bien sûr, ce ne fut pas "une mer calme et une heureuse traversée",
        à chaque session, chaque jour. Mais cet anniversaire, en ce coup
        d'il rétrospectif à l'ampleur presque inespérée,
        nous fait repenser, quelle que soit notre génération, à
        des souvenirs profondément ancrés : Kogan, Fleisher, Senofski,
        Ashkenazy, Laredo, Frager, Michlin
 Znaider, Samoshko, Lemieux
        Arrêtons-nous là. Les parutions du cinquantenaire nous aident
        à refaire cette route musicale. 
        Mais à l'heure où le "live" - comme disent fort
        bien les anglo-saxons - reprend ses droits, réaffirmons-le sans
        crainte : oui, décidément, un
        demi-siècle d'émotion
 
      Tout a commencé
        vers 1900, quand la rencontre entre deux personnalités hors normes
        fait jaillir les projets les plus novateurs et les plus riches de promesses.
        D'un côté, Élisabeth von Wittelsbach, duchesse en
        Bavière. Elle vient d'épouser le prince héritier
        Albert de Belgique et s'installe à Bruxelles. De son père,
        militaire devenu un ophtalmologiste éminent - pionnier des opérations
        de la cataracte, - elle a hérité, entre autres, d'une passion
        dévorante pour la musique ; elle joue d'ailleurs fort bien du violon.
        De l'autre côté, Eugène Ysaye arrive alors au sommet
        d'une carrière à la mesure de son talent : exceptionnelle.
        Créateur de la Sonate de Franck, du Quatuor de Debussy, du Poème
        de Chausson, le violoniste a fondé un quatuor mémorable,
        un duo avec Raoul Pugno qui bouscule les habitudes du récital,
        une société symphonique prestigieuse qui explore le répertoire
        moderne ; il a également enseigné au Conservatoire de Bruxelles
        et joue sur tous les continents, acclamé comme le plus célèbre
        des virtuoses en activité. 
         
        Quand Albert 1er monte sur le trône,
        la Belgique acclame une reine dont l'amour de l'art n'est pas la moindre
        qualité. Ysaye est nommé Maître de Chapelle de la
        Cour en 1912, mais cet honneur est peu en rapport avec une ambition d'action
        qui aurait préféré se cristalliser dans la direction
        du Conservatoire de Bruxelles. Or, cette dernière lui a échappé.
        Son déclin de virtuose l'éloignera progressivement des scènes,
        après que la guerre l'avait éloigné de Belgique.
        Directeur musical de l'orchestre de Cincinnati de 1918 à 1922,
        Ysaye ne retrouvera plus une place à sa mesure dans la Belgique
        de l'après-guerre. Il ne fait pas bon être un apôtre
        du post-romantisme, un virtuose-compositeur, qui plus est, vieillissant
        et malade, à l'époque du Groupe des Six, de Stravinsky et
        des Viennois... Ysaye compose un testament musical d'une importance frappante
        (les six sonates pour violon solo), et, entouré de la tendresse
        de ses proches, comme la reine Élisabeth, mais aussi Thibaud, Kreisler,
        Cortot, Casals, Szigeti, jouit d'une retraite de virtuose tempérée
        par une activité régulière de chef d'orchestre et
        des compositions d'importance variable. Mais ses projets ne sont pas réalisés. 
         
        Ysaye avait dès les années 1900
        des idées bien arrêtées sur ce que devrait être
        un concours international. Ami d'Anton Rubinstein, il connaissait le concours
        qui portait son nom, et dont plusieurs amis et partenaires du violoniste,
        à leur tour, avaient été lauréats : Ferruccio
        Busoni, Émile Bosquet... Le Concours Rubinstein, quinquennal et
        destiné aux pianistes et compositeurs, n'avait pas été
        remplacé après la Révolution russe ; quant au concours
        Chopin de Varsovie, fondé en 1927, on pouvait le considérer
        comme un modèle de concours de piano, mais essentiellement destiné
        à mettre en évidence de bons interprètes de Chopin.
        Ce qu'Ysaÿe désirait était un concours pour jeunes
        virtuoses, au programme extrêmement large incluant la musique contemporaine,
        permettant de mettre en évidence la maturité technique et
        artistique des candidats et de les lancer dans la carrière. Dans
        cette optique, il a l'idée d'un imposé inédit, à
        étudier en loge sans l'aide de quiconque, et surtout pas des professeurs
        : le test ultime. 
         
        La reine Élisabeth ne pourra porter
        un tel concours sur les fonds baptismaux du jour au lendemain. Ysaye meurt
        en 1931, peu après la création de la Fondation Musicale
        Reine Élisabeth. Ensuite, la crise économique, le décès
        accidentel du roi Albert puis de sa belle-fille la reine Astrid, avaient
        remisé provisoirement tout projet artistique d'envergure. En 1937,
        le premier concours Ysaye peut avoir lieu. Un jury international d'un
        niveau exceptionnel accepte avec empressement l'invitation. Les épreuves
        comprennent des uvres imposées, mais non inédites
        ; les candidats affluent. Le prestige du nom d'Ysaye joint au prestige
        de la Cour de Belgique - feu le roi Albert et la reine Élisabeth
        figurent parmi les héros les plus universellement admirés
        de la première guerre mondiale - rassemble à Bruxelles l'élite
        du violon. 
         
        Les résultats de l'épreuve
        causeront une impression profonde : l'école soviétique,
        avec une assurance qui frise l'arrogance, remporte toutes les palmes à
        commencer par la première place. Celle-ci échoit sans l'ombre
        d'une discussion au grand David Oistrakh. Le reste du monde récolte
        les miettes ; l'école belge du violon, dont on s'enorgueillit encore,
        échoue et son absence en finale est très remarquée
        : Arthur Grumiaux et Carlo Van Neste, jeunes et inexpérimentés,
        n'ont pu convaincre le jury. 
         
        Le succès de la première édition
        du concours Ysaye déterminera la suite des événements.
        Relayé par la radio, le concours trouve d'emblée son public,
        et le mélange de sportivité et de qualité artistique
        de l'événement fidélise immédiatement les
        amateurs. Dès 1938, une deuxième édition a lieu,
        cette fois destinée au piano. Et les enseignements sont identiques
        : si Moura Lympany (qu'on appelle encore, alors, Mary Johnstone) se glisse
        entre Emil Guilels (1er) et Jacob Flier (3e), et si, du reste, l'ensemble
        du palmarès parait plus équilibré (un Belge, André
        Dumortier, s'y inscrit d'ailleurs brillamment à la suite d'un tout
        jeune pianiste italien, Arturo Benedetti-Michelangeli, classé 7e),
        lécole soviétique sort une nouvelle fois la tête
        haute et lil quelque peu condescendant. 
        C'en est trop. Avant que la guerre n'éclate, grâce à
        l'aide d'un mécène éclairé et généreux,
        le baron Paul de Launoit, la reine Élisabeth inaugure une institution
        musicale audacieuse, calquée sur le modèle soviétique,
        et destinée à améliorer sensiblement les conditions
        de formation des jeunes artistes belges : c'est la Chapelle Musicale Reine
        Élisabeth, dont la bonne santé affichée encore au
        siècle suivant témoigne de la validité. Quant au
        Concours, les circonstances voudront qu'il ne puisse plus avoir lieu jusqu'à
        nouvel ordre. La vie culturelle belge, bien qu'intense pendant la seconde
        guerre mondiale, entre dans une phase évidemment difficile. Ladministrateur-directeur
        de la Fondation Musicale Reine Élisabeth, Charles Houdret, qui
        donne vie à tous les projets musicaux de la reine, s'embourbe dans
        des scandales financiers ; la fondation est réduite à néant.
        La famille royale belge vit des jours pénibles et inattendus dans
        l'immédiat après-guerre : deux des enfants de la reine Élisabeth
        - Léopold III et Marie-José, éphémère
        reine d'Italie - ne garderont pas leur trône ; quant au troisième,
        Charles, il assure pendant cinq ans la régence en Belgique, mais,
        tout prince artiste qu'il soit, cette période ne pourra qu'être
        marquée par la reconstruction du pays, priorité d'entre
        les priorités. 
         
        Au printemps de 1950, la relance du concours
        Ysaÿe est cependant décidée. Marcel Cuvelier, fondateur
        en 1940 des Jeunesses Musicales de Belgique et, en 1945 avec René
        Nicoly, de la Fédération Internationale des Jeunesses Musicales,
        convainc la reine Élisabeth de donner Son nom à l'épreuve.
        Paul de Launoit apporte fidèlement un soutien inconditionnel à
        l'entreprise, dont il assume la présidence. À leur côté,
        Jean van Straelen, administrateur-secrétaire du Conservatoire Royal
        de Bruxelles, jouera un rôle plus discret mais cependant essentiel
        : le concours est entre de bonnes mains. La première session prend
        place au printemps 1951, selon les principes directement hérités
        du Concours Ysaye. Et, désormais, les prestigieux bâtiments
        de la Chapelle Musicale Reine Élisabeth accueillent les finalistes
        pour la remise en loge : ils deviendront très vite un des symboles
        du concours, quitte à faire de l'ombre à leur fonction originelle,
        réactivée en 1956 seulement. 
         
        Le Concours, membre fondateur de la Fédération
        mondiale des concours internationaux de musique (1957), est depuis sa
        fondation considéré dans le monde entier comme un des plus
        prestigieux, mais aussi un des plus durs qui soient. Il est réservé
        au violon (depuis 1951), au piano (depuis 1952), à la composition
        (depuis 1953) et au chant (depuis 1988). Pour chaque catégorie,
        les sessions sont distantes de quatre ans. Mais est-ce nécessaire
        d'aller plus loin ? L'histoire du concours est une histoire en images,
        en sons, en souvenirs. Et si les souvenirs se transmettent tant bien que
        mal de génération en génération, les images
        et les sons, aujourd'hui, sont disponibles. 
        On peut cependant utilement revenir à quelques aspects de ce coup
        d'il rétrospectif, si utile pour l'histoire culturelle du
        pays. 
        
         
        Les lieux du Concours 
         
         
        Les lieux symboliques du " Reine Élisabeth
        " sont au nombre de trois. 
         
        Le premier est le Conservatoire
        Royal de Musique de Bruxelles. La Grande Salle, inaugurée
        en 1876, porte mal son nom : elle est petite. C'est une de ses grandes
        qualités. Cette salle à l'italienne, conçue pour
        la musique pure avec sa scène en gradins surmontée d'un
        orgue de Cavaillé-Coll, est le cadre rêvé pour un
        concert de musique de chambre ou un récital. Et, de fait, les demi-finales
        du concours qui, comme les éliminatoires, s'y déroulent
        devant une salle comble, font souvent davantage penser à un concert
        quà une épreuve. Pourtant, les demi-finales seront
        longtemps handicapées, aux yeux des vrais amateurs de musique,
        par un programme trop centré sur les difficultés techniques,
        particulièrement pour le violon. Une évolution sensible
        s'est d'ailleurs marquée dès les années 70 ; aujourdhui,
        les demi-finales sont considérées comme un point culminant,
        à bien des points de vue, des sessions. 
         
        Le second lieu est la Chapelle
        Musicale Reine Élisabeth. Ce bâtiment aux lignes fonctionnelles
        et élégantes fut inauguré en 1939 à Waterlooil
        s'agit d'un institut supérieur d'enseignement musical, où
        les élèves-pensionnaires étudient le piano, le violon,
        l'alto, le violoncelle ou la composition auprès du maître
        de leur choix, dans des conditions de confort et de sérénité
        exceptionnelles. Lors de chaque session du Concours Reine Élisabeth,
        la Chapelle donne congé à ses élèves, et est
        mise à disposition du concours pour la mise en loge des douze finalistes.
        Cette mise en loge, d'une durée d'une semaine, est destinée
        à l'assimilation du concerto imposé inédit par le
        concurrent, sans aide extérieure. Chaleureuse et conviviale malgré
        la tension de l'épreuve, elle laisse généralement
        un souvenir indélébile aux finalistes. 
         
        Le troisième et dernier lieu est le
        Palais des Beaux-Arts de Bruxelles.
        L'un des grands projets artistiques de la reine Élisabeth, il voit
        le jour en 1928 et est issu du crayon de l'architecte Victor Horta. Sa
        grande salle de concert (2.052 places) à l'acoustique insurpassable
        est le théâtre de toutes les finales du concours, et, pour
        les concours de chant, des demi-finales avec orchestre. Les places y sont
        pratiquement introuvables les soirs de finales : malgré les retransmissions
        en direct à la télévision et à la radio, c'est,
        définitivement, " a place to be ", un lieu où
        il convient de se trouver. Pour être à la page ? Non: pour
        être sûr de ne pas rater un événement musical
        dont le " Reine Élisabeth " a le secret. 
        
        L'échelle du temps 
         
         
        Certaines langues, comme le français,
        désignent par le même substantif le temps qui passe et le
        temps qu'il fait... Et pourtant, il conviendrait d'être précis
        pour juger de l'influence du contexte, et de la tension électrique
        qui emplit la salle lors de certaines sessions. Un candidat soviétique
        qui gagne dans la ville ou siège l'OTAN (1951), une première
        lauréate israélienne qui devance un soviétique en
        1971 ; en 1985, un lauréat (Nai-Yuan Hu), futur vainqueur, qui
        joue le concerto d'Elgar au moment même où des supporters
        de football britanniques provoquent, à quelques minutes de là,
        une effroyable tragédie humaine... Tout cela peut emplir la salle
        du Palais des Beaux-Arts d'ondes particulières dont les traces
        peuvent se perdre dans les enregistrements. 
         
        Le temps qu'il fait, c'est ce qui peut faire
        monter la température sur scène à 40'C et plus ;
        faire tomber la veste à un orchestre, sous menace de grève,
        faire suinter l'humidité de l'ivoire des claviers. Les " spots
        " de la télévision, dans les années 70-80, sont
        impitoyables. Le climat printanier belge - le croira-t-on ? - peut l'être
        aussi. Certains finalistes doivent leur échec ou, moins dramatiquement,
        des accidents sans gravité à cette chaleur, que le disque
        ou la radio ne rend pas davantage... 
         
        Le temps qui passe, à nouveau, c'est
        encore la longueur du concours. Les concurrents arrivés premiers
        ont une immense résistance : ils sortent d'un mois entier de tension
        et d'épreuves. Certains autres ont " craqué "
        en finale, ne récoltant pas la place que leur talent leur promettait.
        Le mot " épuisement ", en tout cas, revient invariablement
        dans les souvenirs de lauréats. Mais ce n'est pas tout : pour les
        premiers classés, la proclamation est annonciatrice d'autres fatigues
        : les concerts de lauréats se succèdent, avec notamment
        un gala avec orchestre qui constitue l'apothéose de la session,
        en présence de la famille royale belge. Ensuite, ce sont les concerts
        que les organisateurs extérieurs s'empressent d'organiser avec
        les premiers lauréats : ils sont nombreux, et dépassent
        largement les frontières. 
         
        Le concours, c'est certain, joue du temps. 
        
         
        L'Est et l'Ouest 
         
         
        Si, lors des deux concours Ysaÿe en 1937
        et 1938, les États-Unis étaient restés en retrait,
        la participation américaine est une réalité dès
        le premier concours Reine Élisabeth. Et compte tenu de l'enjeu
        que représente ce concours prestigieux aux yeux des autorités
        soviétiques, un véritable match s'engage dès 1951.
        Il est en tout cas, malgré ici ou là une dénégation
        un peu molle, vécu comme tel par le public - que les relations
        Est-Ouest ne laisse pas indifférent, loin s'en faut - et par les
        critiques. 
         
        Dès 1951, le ton est donné. Plus
        encore qu'avant-guerre, l'attitude, ressentie comme arrogante des lauréats
        soviétiques et la manière la plupart du temps partisane
        dont elle est relayée dans la presse belge n'est pas sans influencer
        le cours des événements. Leonid Kogan survole l'édition
        ; de retour à Moscou, il accorde des interviews dans lesquels il
        ne fait guère preuve de tendresse pour le concours, la reine, la
        Belgique et sa bourgeoisie. La tension monte sur fond de menaces de guerre
        - et celle de Corée provoque un choc violent en Belgique - ; il
        en résultera une absence pure et simple des Soviétiques
        en 1952. Plus tard, et pour une longue période, les Soviétiques,
        Oistrakh en tête, se montreront pourtant les plus fidèles
        soutiens de l'institution, Kogan venant même siéger dans
        les jurys en 1971 et 1976 ; et la reine Élisabeth sera l'invitée
        d'honneur du premier concours Tchaikowsky, à Moscou, en 1958, ce
        qui ne sera pas sans causer un certain émoi en Belgique... 
        Le match URSS-USA paraît d'abord équilibré. Aux vainqueurs
        américains, Senofski (1955)  dont la victoire devant Sitkovetski
        fera sensation - et Frager (1960), il faut ajouter Laredo (1959), qui,
        bien que Bolivien, doit sa formation à l'Américain Ivan
        Galamian. La victoire de Vladimir Ashkenazy en 1956 est donc bienvenue
        pour les Russes. Mais dès 1963, c'est un rouleau compresseur soviétique
        qui se met en marche, et que rien ne semble plus devoir arrêter.
        Michlin, puis Moguilevski (1964), Hirshhorn (1967), Novitskaja (1968),
        Afanassiev (1972), Faerman (1975), Bezverkhny (1976) ne laissent interrompre
        leur série que par l'Israélienne Miriam Fried (1971). La
        déroute américaine est particulièrement cuisante
        dans les épreuves de violon : en 1967 et 1971, les États-Unis
        ne placent aucun lauréat en finale. 
         
        Si, dans un premier temps, les médias
        accordent un intérêt presque caricatural aux candidats venus
        de l'Est - Qui sont-ils ? Que font-ils ? Que mangent-ils ? Combien d'heures
        travaillent-ils par jour ? - , la fascination s'étiolera progressivement.
        Les Russes du brejnévisme ne soulèvent plus les foules,
        et ne donnent plus l'illusion de l'épanouissement. La fuite en
        Occident est devenue la règle pour les représentants de
        l'Est : après Ashkenazy, Berman, Markov, c'est au tour de Hirshhorn,
        Kremer, Nodel, puis de Novitskaja, Leonskaja, Afanassiev, Faerman, Egorov...
        de fuir la patrie sous les yeux effarés d'Oïstrakh et de Guilels.
        Certains s'en sortent bien, d'autres pas. Et l'ordre du jour n'est plus
        toujours à un match international, mais bien parfois au sauvetage
        d'artistes en détresse, au bord de l'asphyxie derrière un
        rideau de fer. L'URSS en déroute, empêtrée dans une
        politique sans issue, se replie sur elle-même et proclame un boycott
        du concours. Il n'y aura plus de candidats officiels soviétiques
        de 1978 à 1987. 
         
        Cette période ne sera pas sans incertitudes
        et sans regrets pour le concours, qui ne ménagera pas ses efforts
        pour faire revenir les autorités soviétiques sur leur décision
        : les Russes manquent. Mais ils reviendront. 1989 et Vadim Repin marqueront
        le grand retour de l'ogre soviétique... Mais si le violoniste est
        remarquable et paraît bien éloigné des préoccupations
        politiques, l'ogre, lui, est malade. Et le débat russo-américain
        semble se clore à jamais, un peu plus tard, à Berlin. 
        
         
        Violon, piano, chant 
         
         
        Né pour et par le violon, le concours
        Ysaÿe lègue au Concours Reine Élisabeth sa tradition.
        Inaugurée par le violon en 1951, l'épreuve fêtera
        en 1976 son 25e anniversaire (qui est aussi le centenaire de la naissance
        de la reine Élisabeth) en bousculant l'ordre habituel des sessions
        à son profit. Et le 50e anniversaire, en 2001, se fête aussi
        au son des chanterelles. Pourtant, le piano, dès 1952, devient
        l'autre fer de lance du concours, et peut-être même - quoique
        les nuances soient infimes - le plus populaire. En revanche, les tentatives
        de populariser un concours de composition, on le verra, ne rencontreront
        pas le succès. Mais le succès national et international
        majeur du Concours Reine Élisabeth de violon et de piano suscite
        bien vite des interrogations : pourquoi ne pas élargir le concept,
        créer de nouvelles catégories, notamment au profit du violoncelle
        ? 
         
        Ce sera le regain de l'art lyrique en Belgique,
        d'une ampleur inespérée (qu'expliquent en grande partie
        les succès du Théâtre Royal de la Monnaie dans les
        années quatre-vingts sous la direction Mortier), qui apportera
        la réponse à ces interrogations. Sous l'impulsion de personnalités
        comme Gerard Mortier, José Van Dam ou Jules Bastin, et avec la
        très active complicité du Président du Concours,
        le comte Jean-Pierre de Launoit, particulièrement féru d'art
        lyrique, un concours de chant est mis sur pied à titre expérimental
        en 1988. 
         
        L'accueil public et critique étant globalement
        enthousiaste, l'épreuve sera reconduite. Son succès - et
        son niveau - ne cesseront dès lors de s'élever. Reprenant
        la tradition d'exigence du règlement, dont l'application n'est
        pas sans susciter des discussions passionnées - existe-t-il des
        chanteurs capables d'exceller à la fois dans un lied de Wolf, un
        imposé atonal, une scène de bravoure de Donizetti et une
        aria de Haendel ? - , le concours de chant trouvera ses marques, et son
        éclosion parmi les grands concours réservés à
        cette discipline ne fait aujourd'hui plus aucun doute. 
        
        Imposés et Concours de composition 
         
         
        Le concours Reine Élisabeth met un point
        d'honneur, dès sa fondation, à vouloir s'insérer
        dans le monde musical contemporain, et le concerto inédit imposé
        en finale y contribue puissamment. Mais dans l'atmosphère d'optimisme
        retrouvé dans l'après-guerre, cela n'apparaît pas
        suffisant. Alors que la Fondation Musicale Reine Élisabeth, avant
        la guerre, avait conçu un élargissement du Concours Ysaÿe
        à la direction d'orchestre  épreuve mort-née
        pour cause de guerre imminente,  la nouvelle direction du concours,
        dès 1950, envisage un grand concours de composition. Les espoirs
        sont grands, en 1953, pour la première édition. Un jury
        prestigieux (Nadia Boulanger, Malipiero, Frank Martin, Martinu, Panufnik,
        Absil, Poot...), une exécution des partitions par un excellent
        orchestre, le soutien inconditionnel de la Reine Élisabeth... rien
        n'y fera : le concours ne trouvera pas son public. De modifications en
        modifications, les éditions suivantes (1957, 1961, 1965 et 1969)
        refléteront la difficulté insurmontable d'organiser un concours
        public de composition. D'ultimes remaniements, puis une extinction complète
        aboutiront cependant, en 1991, à une formule sans doute éloignée
        de l'idée originelle mais incontestablement plus adaptée
        aux réalités : le Concours de Composition est désormais
        biennal, et destiné à primer le concerto imposé aux
        sessions de violon et de piano. Ouvert aux candidats du monde entier,
        il remporte dans cette formule un succès très honorable,
        et une excellente diffusion internationale est garantie à l'auteur
        de luvre primée. 
         
        Entre-temps, les concertos imposés avaient
        été réservés aux compositeurs belges - à
        une notable exception près. De 1951 à 1956, il s'agira d'un
        concours national ; mais de 1959 à 1989 (à l'exception de
        1987, où la formule du concours ouvert aux seuls candidats belges
        refait brièvement surface), il s'agira duvres commandées.
        Cette vingtaine de concertos belges fera couler beaucoup d'encre. Trop
        modernes, pas assez modernes, trop difficiles, pas assez difficiles...
        Que n'a-t-on dit de ces concertos, qui s'efforçaient, pour la plupart
        avec des qualités indéniables, à la fois dêtre
        le fidèle reflet du style de leur auteur et de permettre la mise
        en évidence des talents d'interprètes si divers... À
        les réécouter, à notre époque où les
        diktats esthétiques sont moins puissants sans doute, l'envie prend
        aujourd'hui de sortir la plupart d'entre eux de leur purgatoire. On en
        trouvera un échantillonnage significatif dans les parutions du
        cinquantenaire. 
        
         
        Orchestres 
         
         
        L'accompagnement orchestral fait partie intégrante
        des finales depuis le premier concours Ysaÿe. A l'époque,
        le Grand Orchestre Symphonique de l'INR (Institut National de Radiodiffusion),
        récemment créé, avait rempli glorieusement sa mission
        sous la baguette de son chef et fondateur Franz André. Violoniste
        de talent, disciple de Weingartner, volontiers tyrannique, André
        s'était imposé, il est vrai, comme un chef de grande envergure,
        créant un nombre élevé duvres importantes
        de Stravinsky, Milhaud ou des meilleurs compositeurs belges. C'est lui
        que l'on retrouvera dès 1951 au pupitre périlleux du "
        Reine Élisabeth ", mais à la tête de l'Orchestre
        National. 
        Né officiellement en 1936, l'Orchestre National de Belgique avait
        connu un bel essor. Il avait bénéficié jusqu'à
        la guerre de la collaboration très régulière d'Erich
        Kleiber, et allait connaître son apogée vers 1960, quand
        son directeur musical n'était autre qu'André Cluytens. Mais
        la disponibilité nécessaire au chef du " Reine Élisabeth
        " est grande, et Cluytens n'apparaîtra que sporadiquement dans
        le cadre du concours. Franz André incarnera donc à lui seul
        " l'orchestre du concours " de 1951 à 1964. Sa vaste
        expérience, sa familiarité avec les langages contemporains,
        sa souplesse d'accompagnateur y feront merveille, et son sang-froid lui
        vaudra la reconnaissance éternelle - ou l'ingratitude - de quelques
        candidats repêchés à la suite d'un trou de mémoire,
        d'une corde cassée ou d'une " page qui colle ". Membre
        du jury en 1967, Franz André n'occupe plus alors le pupitre : il
        a laissé sa place à René Defossez. Une page est tournée. 
         
        La communautarisation progressive de la culture
        en Belgique imprime sa marque dans les choix qui seront faits alors. L'Orchestre
        de la Radio Télévision Belge (RTB/BRT) succède à
        l'Orchestre National, tantôt avec un chef flamand (Daniel Sternefeld,
        1968), tantôt avec un chef wallon (René Defossez, 1971).
        Si l'Orchestre National reparaît en 1972 sous la direction de Defossez,
        ce sont les orchestres de radiotélévision désormais
        scindés (RTB et BRT) qui sont destinés à accompagner
        les futures éditions. Mais la participation de l'Orchestre de la
        BRT en 1975, sous la direction d'Irwin Hoffman, sera sans lendemain. L'Orchestre
        National revient dès 1976, sous la direction de Georges Octors,
        excellent violoniste par ailleurs, dont les qualités d'accompagnateur
        seront très appréciées. Les meilleurs jours du National
        apparaissent cependant alors révolus. Personne ne s'étonne
        lorsque, après 1993, la décision est prise de s'adresser
        aux orchestres symphoniques de Liège et dAnvers, élevés
        entre-temps grâce au soutien des Communautés Flamande et
        Française au rang de phalanges de niveau international : l'Orchestre
        Philharmonique de Liège (dont le directeur artistique Pierre Bartholomée,
        dirigera lui-même la session de 1995) et l'Orchestre Royal Philharmonique
        de Flandre (1997). Cependant dès 1999, l'orchestre National de
        Belgique, en pleine renaissance, est redevenu un complice régulier
        pour les sessions de violon et de piano. 
         
        Quant aux sessions de chant, elles ont trouvé
        dès l'origine (1988) en l'orchestre Symphonique de la Monnaie un
        partenaire idéal. Sous la direction de Sylvain Cambreling (1988)
        puis de Marc Soustrot (1992, 1996 et 2000), qui dirigera également,
        d'ailleurs, les sessions de violon de 1997 et de piano en 1999, l'orchestre
        de l'Opéra bruxellois a pu, dans un exercice particulièrement
        difficile, apporter la qualité nécessaire à la mise
        en valeur des candidats. Quant au répertoire baroque, la nécessité
        d'un accompagnement adapté se fait ressentir sans tarder - la Belgique
        étant un des foyers historiques du revival baroque. Après
        avoir opté (1992 et 1996) pour une formation sur instruments modernes
        (le Collegium Instrumentale Brugense de Patrick Peire), la direction du
        concours accomplit le pas très attendu de la formation sur instruments
        anciens : l'Academy of Ancient Music, sous la direction de Paul Goodwin,
        accompagne la session de chant de 2000, non sans retentissement. 
         
        La quête d'un accompagnement idéal
        se poursuit, du reste, sans relâche : pour la session du cinquantenaire
        (2001), consacrée au violon, les demi-finales permettront aux candidats
        d'exécuter un concerto de Mozart avec un orchestre de chambre.
        Quant aux accompagnateurs mis à disposition des candidats violonistes
        et chanteurs venant sans partenaire attitré, ils sont d'excellent
        niveau, et parmi eux se reconnaissent et s'apprécient d'anciens
        lauréats du concours, comme Jean-Claude Vanden Eynden ou Daniel
        Blumenthal. 
        
        Les Jurys 
         
         
        Les jurys du Concours Reine Élisabeth
        constituent une légende à eux seuls. Parfaitement silencieux,
        ces tueurs - comme les appelle malicieusement Isaac Stern - sont les yeux
        et les oreilles devant lesquels les lauréats essaient d'oublier
        leur trac ; ils sont les porte-plume qui inscrivent une note, secrète
        et non modifiable ; ils sont les maîtres qui ont décidé
        de la première place de 31 premiers lauréats de 1951 à
        2000, que la postérité ait confirmé leur jugement
        ou non. 
         
        Le prestige de ces jurys est indéniable.
        Le fin connaisseur de l'histoire du violon pourrait-il éviter la
        pâmoison, en lisant au hasard la liste des jurés en 1971
        : Avramov, Bobesco, Calvet, Francescatti, Gulli, Kogan, Kurtz, Menuhin,
        Neaman, Octors, Odnopossoff, Raskin, Stern, Szigeti, Uminska, Vegh ? De
        tels exemples pourraient être multipliés, mais ces listes
        n'ont pas leur place ici. La certitude est là, indiscutable : la
        capacité de jugement d'un tel jury est évidemment immense.
        Les questions que soulèvent les palmarès n'en sont que plus
        enrichissantes. A l'écoute des archives du concours, la tentation
        est grande, évidemment, d'instruire en un appel tardif un procès
        historique. Ah ça ! Comment ces grands maîtres ont-ils pu
        en 1952 classer Entremont 10e et Hans Graf 11e ? Pourquoi Vasary ne fut-il
        classé que 6e en 1956 ? Zakhar Bron, le maître de Repin et
        de Vengerov, méritait-il bien d'être 12e en 1971 ? Etait-il
        fondé de classer Egorov 3e en 1975, derrière deux compatriotes
        aujourd'hui fort discrets ? 
        Le jury a toujours ses raisons. Son nombre même, l'absence de délibération
        sont des garanties solides. Et il juge ce qu'il entend en finale, teinté
        du souvenir de la première épreuve et des demi-finales (celles-ci
        devenant, du reste, de plus en plus importantes). Certes, Emmanuel Ax,
        James Tocco, Cyprien Katsaris (7e, 8e et 9e en 1972) étaient déjà
        de grands artistes. Mais certains aspects de leur prestation, cette soirée-là
        - que ce soit sur un plan artistique ou sur un plan technique - ont moins
        convaincu les Annie Fischer, Alexandre Braïlowsky, Leon Fleisher,
        Emil Guilels et autres Vlado Perlemuter qui les écoutèrent
        très attentivement. Là réside la dure loi du Concours
        ; et les cartes sont rebattues, ensuite, lorsqu'il s'agit de mener une
        carrière, avec l'aide de dame Chance ; les revanches - toutes pacifiques
        - sont nombreuses. 
         
        Ajoutons que la direction du concours ne pourra,
        par une gourmandise bien légitime, résister au plaisir de
        mettre quelques membres du jury à contribution pendant les sessions
        : durant la semaine de mise en loge, par exemple, des concerts mémorables
        auront lieu, comme cette soirée de 1959 qui rassemblera Oistrakh,
        Menuhin et Grumiaux sous la direction de Franz André ; et des Oistrakh,
        Guilels ou Frager multiplieront à ces périodes leurs apparitions
        pour le plus grand plaisir de leurs admirateurs. Aujourd'hui, c'est l'aide
        aux candidats qui est cependant davantage mise en avant, avec des masterclasses
        données par des membres du jury pendant la semaine de mise en loge.
        Elles sont notamment ouvertes aux demi-finalistes malheureux. 
        
        Présidents du jury 
         
         
        Primus inter pares, le président du
        jury joue un rôle capital. Il est l'intermédiaire entre l'aréopage
        et la foule, remerciant publiquement tantôt la famille royale de
        sa présence, tantôt l'orchestre pour son dévouement
        au cours de six soirées consécutives, et annonçant,
        dans une atmosphère électrique indescriptible, le résultat
        final dans la nuit du samedi. Ce rôle sera d'abord endossé
        par un grand organisateur, Marcel Cuvelier, directeur du Concours et,
        par ailleurs, directeur de la Société Philharmonique de
        Bruxelles. Mais à sa mort, et fort logiquement, ce seront désormais
        des musiciens belges, de haut vol, qui rempliront la fonction, à
        commencer par deux directeurs du Conservatoire Royal de Bruxelles : Léon
        Jongen et Marcel Poot. 
         
        Si le règne de Léon Jongen fut
        bref - il avait 76 ans lorsqu'il succéda à Cuvelier en 1960,
        - celui de Marcel Poot sera long. Jusqu'en 1980, ce petit homme malicieux
        et élégant, le nez invariablement chaussé d'épaisses
        lunettes rondes échappées des années trente, la cigarette
        vissée aux lèvres, doté d'un humour à froid
        réputé, officia avec autorité et compétence.
        Ce fut ensuite le tour d'Eugène Traey, pianiste de classe - disciple
        de Casadesus, Leimer et Gieseking, - partenaire de Grumiaux, et pédagogue
        réputé. Enfin, depuis 1996, l'actuel directeur du Koninklijk
        Muziekconservatorium Brussel - le Conservatoire Royal flamand de Bruxelles,
        - Arie Van Lysebeth, a repris le flambeau avec l'élégance
        et la compétence que tout le monde lui reconnaît. 
        
         
        Médias 
         
         
        À tout seigneur tout honneur : sans
        la radio, ce coffret ne pourrait exister
        tel quel. LInstitut National de Radiodiffusion belge (INR/NIR),
        installé dans un bâtiment ultramoderne en 1938, était
        considéré comme un des plus performants de son temps en
        ce qui concerne la musique vivante. Sous l'impulsion de personnalités
        aussi fortes que Paul Collaer et Franz André, la diffusion de concerts
        " live " avait considérablement limité, dans un
        premier temps, la diffusion des 78 tours dont devaient se contenter d'autres
        institutions moins bien menées. C'est tout naturellement que le
        concours Ysaÿe avait fait l'objet d'une retransmission directe en
        1937. Et c'est tout naturellement que le Concours Reine Élisabeth
        occupera l'antenne dès 1951, la radio diffusant l'intégralité
        des finales et les enregistrant soigneusement pour des diffusions ultérieures.
        Dès 1955, des propos d'entracte sont confiés à un
        spécialiste - le compositeur et critique musical Jacques Stehman,
        dont le souvenir est aujourd'hui rappelé par un prix décerné
        par les auditeurs de la RTBF, - qui s'entoura de journalistes pour faire
        du concours un événement radiophonique populaire, bientôt
        relayé par l'Union européenne de Radiodiffusion. La radio
        flamande emboîtera le pas, et diffusera aussi, avec les commentaires
        adéquats, le concours dans la partie néerlandophone du pays,
        créant elle aussi un prix décerné par les auditeurs,
        le prix Sternefeld. 
         
        Cette couverture médiatique connaîtra
        un nouvel élan grâce à la
        télévision. Dès 1959, celle-ci marque son
        intérêt pour le concours. Mais les limitations de la technique,
        la méfiance aussi pour ce nouveau média donneront à
        ces débuts un tempo modéré. On commencera par les
        aspects les plus mondains - la remise des prix par la reine Élisabeth
        - en contournant la musique. Il est vrai que l'auditeur est roi : celui
        du Palais des Beaux-Arts ne pouvait tolérer davantage que la direction
        du concours les installations très lourdes et l'éclairage
        écrasant nécessités par les caméras de l'époque.
        Dès 1964, la télévision filme cependant les répétitions
        au Palais des Beaux-Arts pour alimenter une chronique au journal du soir.
        Une caméra fixe permettra dès 1967 d'immortaliser des moments
        choisis des demi-finales et finales, agrémentés de très
        nombreux reportages et interviews. Les retransmissions en direct commenceront
        partiellement en 1972, et totalement en 1978. Elles n'ont plus cessé
        depuis du côté francophone, tandis que la télévision
        flamande les a remplacées par des reportages et retransmissions
        différées depuis 1997, au regret de milliers de mélomanes
        flamands. 
         
        Une telle médiatisation, à laquelle
        il faut encore ajouter un suivi attentif de la part de la presse écrite
        - tant flamande que francophone, - est unique au monde. Elle a donné
        aux lauréats une assise populaire impressionnante qui a amené
        nombre dentre eux à s'installer en Belgique. 
         
        A cet éventail médiatique s'ajoute
        enfin le disque, relais favori des émotions musicales pour une
        majorité d'amateurs. Dès 1967, la Discothèque Nationale
        fondée en 1956 grâce à lappui de la reine Élisabeth,
        édite en hommage à la souveraine décédée
        un disque consacré à l'histoire du concours, ainsi que les
        prestations des trois premiers lauréats. La filiale belge de Deutsche
        Grammophon publiera dès lors à chaque session une série
        de disques réalisés avec le plus grand soin. Mais les filiales
        locales des grandes maisons de disques interrompent bientôt leurs
        productions classiques propres. En 1983, un éditeur belge indépendant
        - René Gailly - prend le relais. Depuis 1996, le label Cyprès
        enregistre, publie et diffuse tous les disques du Concours Reine Élisabeth. 
         
        En 2051, peut-être quelqu'un prendra-t-il
        la plume pour célébrer le centenaire du concours. Puisse-t-il
        être en mesure d'écrire : un second demi-siècle d'émotion.
        Il commence aujourd'hui. 
         
         
        Michel Stockhem 
       |